Jerald F. Dirks, ex-pasteur de l’église méthodiste unie, USA (partie 3 de 4)

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Description: La vie aisée et l’éducation d’un diplômé de Harvard, et auteur du livre « The cross and the crescent » (la croix et le croissant), désillusionné par le christianisme après avoir étudié la théologie.  Partie 3 : Jeux psychologiques et difficulté de s’abandonner.

  • par Jerald F. Dirks
  • Publié le 31 Mar 2008
  • Dernière mise à jour le 20 Apr 2008
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Néanmoins, j’hésitais.  De plus, je rationalisais mon hésitation en me disant que je ne connaissais pas tous les aspects pratiques ni les petits détails importants et essentiels de l’islam, et que mes convictions ne rejoignaient, en somme, que les grands concepts de cette religion.  C’est pourquoi je continuai à lire, et à lire encore.

L’identité d’une personne est une puissante affirmation de la position qu’elle occupe dans l’univers.  Dans l’exercice de ma profession, j’avais à quelques reprises été appelé à traiter certains désordres liés aux dépendances, allant de l’accoutumance à la cigarette, en passant par l’alcoolisme et l’abus de drogues.  En tant que clinicien, je savais que la dépendance physique devait être surmontée pour susciter l’abstinence initiale.  C’était la partie facile du traitement.  Comme l’a déjà dit Mark Twain : « Cesser de fumer est facile; je l’ai fait des centaines de fois. ».  Je savais que la clef pour prolonger l’abstinence sur une longue période était de surmonter la dépendance psychologique, qui est profondément enracinée dans le sentiment identitaire d’une personne (dans ces cas précis, les patients s’identifiaient eux-mêmes comme fumeurs, ou buveurs, etc.).  Le comportement de dépendance étant devenu une partie importance du sentiment identitaire du patient, modifier ce sentiment est essentiel à la poursuite de la thérapie.  C’est là la partie difficile du traitement.  Car modifier son sens identitaire est une chose très difficile.  Notre psyché a tendance à s’accrocher à tout ce qui lui est familier, car c’est psychologiquement plus confortable et sécurisant que d’avoir à affronter des choses nouvelles et non familières.

D’un point de vue professionnel, je possédais ces connaissances et elles me servaient chaque jour.  Mais ironiquement, je n’étais pas prêt à les appliquer à moi-même et à ma propre hésitation à remettre en question mon identité religieuse.  Durant 43 ans, mon identité religieuse avait été clairement étiquetée « chrétien » et était demeurée telle en dépit des nombreux autres qualificatifs qui étaient venus s’y ajouter au fil des ans.  Laisser tomber cette étiquette n’était pas facile, car elle était partie intégrante de la façon dont je m’identifiais en tant qu’être humain.  Avec du recul, il m’apparaît évident que mon hésitation me servait à garder intact mon identité religieuse; j’étais toujours un chrétien, même si j’étais un chrétien qui pensait comme un musulman.

Nous étions à la fin du mois de décembre et ma femme et moi devions remplir nos formulaires de demande de passeports, car on nous avait proposé un voyage au Moyen-Orient.  Une des questions du formulaire avait trait à l’affiliation religieuse.  Sans même y réfléchir, je cochai tout de suite ce qui m’était le plus familier, c’est-à-dire « chrétien ».  C’était facile, familier, confortable.

Mais ce « confort » fut momentanément interrompu lorsque ma femme me demanda ce que j’avais répondu à la question portant sur l’affiliation religieuse.  Je répondis immédiatement « chrétien » et me mis à glousser distinctement.  Une des contributions de Freud à la compréhension de la psyché humaine est sa réalisation que le rire sert souvent à relâcher une tension psychologique.  Bien qu’il ait eu tort sur plusieurs aspects de sa théorie du développement psychosexuel, il a visé juste dans sa perception du rire.  Je m’étais donc mis à rire!  Quelle était cette tension psychologique que j’avais besoin de relâcher par le rire?

Je me rattrapai vivement en affirmant à ma femme que j’étais bel et bien chrétien et non musulman.  En réponse de quoi elle me fit remarquer qu’elle n’avait fait que poser une simple question, car elle désirait savoir si j’avais coché « chrétien », « protestant », ou « méthodiste ».  En tant que psychologue, je savais qu’une personne ne se défend normalement pas contre une accusation qui n’a pas même été portée.  (Si, au cours d’une séance de psychothérapie, un patient lâchait tout à coup un « je ne suis pas en colère contre cela! » alors que je n’avais même pas abordé le sujet de la colère, il m’apparaissait évident qu’il ressentait le besoin de se défendre contre une attaque qui venait en fait de son propre subconscient.  Il était en colère, mais n’était encore prêt à l’admettre.)   J’étais bien conscient de tout cela, mais j’hésitais toujours.  L’étiquette religieuse à laquelle je m’identifiais depuis 43 ans n’allait pas se détacher facilement.

Nous étions maintenant à la fin du mois de janvier 1993 et il y avait plus d’un mois que ma femme m’avait posé cette question.  J’avais lu attentivement tous les livres que je possédais sur l’islam; j’avais remis sur l’étagère mes deux traductions anglaises du Coran et j’étais maintenant entrain de lire une troisième traduction.  Peut-être que dans cette traduction, j’arriverais à trouver une justification pour…

Lorsque je travaillais, je dînais parfois dans un petit restaurant arabe du quartier.  Ce jour-là, j’entrai et allai m’installer à une petite table, comme à mon habitude, puis j’ouvris cette troisième traduction du Coran, songeant que je pouvais aussi bien poursuivre ma lecture durant mon heure de dîner.  Quelques instants plus tard, je me rendis compte que Mahmoud se tenait debout près de mon épaule, attendant que je lui passe ma commande.  Il jeta un coup d’œil sur ce que j’étais entrain de lire, mais ne dit rien.  Une fois ma commande passée, je replongeai dans ma lecture.

Quelques minutes plus tard, l’épouse de Mahmoud, Iman, une américaine convertie à l’islam portant hijab et vêtements modestes, m’apporta mon plat.  Elle remarqua que je lisais le Coran et me demanda poliment si j’étais musulman.  Le mot sortit de ma bouche avant que je puisse l’accompagner d’une formule de politesse : « non ! ».  Je prononçai cet unique mot avec force et sur un ton qui ne cachait pas mon irritation.  Devant cette réponse, Iman se retira discrètement.

Que m’arrivait-il?  Je venais de me comporter de façon très impolie et même agressive.  Qu’avait fait cette femme pour mériter une réponse aussi brutale?  Cela ne me ressemblait pas.  Compte tenu de l’éducation que j’avais reçue, enfant, j’utilisais toujours les termes « monsieur » et « madame » en m’adressant aux commis ou caissiers qui me servaient dans les magasins.  J’avais pu faire semblant d’ignorer mon propre rire qui était le signe d’un relâchement de tension, mais je ne pouvais maintenant ignorer mon comportement inadmissible.  Je mis de côté ma lecture et tout en mangeant, je me mis à ruminer sur la tournure des événements.  Plus je ruminais, plus je me sentais coupable de mon comportement.  Je savais que lorsque Iman m’apporterait l’addition, à la fin du repas, j’aurais à faire amende honorable, n’était-ce que parce que la politesse la plus élémentaire l’exigeait.  De plus, j’étais passablement ébranlé de la résistance que j’avais opposée à sa question pourtant inoffensive.  Que se passait-il en moi pour que je réponde aussi farouchement à une question simple et directe?  Pourquoi cette question m’avait-elle amené à me comporter de façon aussi atypique?

Quand Iman revint avec l’addition, je tentai, de façon détournée, de lui présenter mes excuses en disant : « Je crois avoir répondu à votre question de manière un peu brusque.  Si vous me demandiez si je crois en un seul Dieu, ma réponse est oui.  Si vous me demandiez si je crois que Mohammed était l’un des prophètes de ce même Dieu, ma réponse est oui également. »  Alors très gentiment, elle répondit : « Je vous en prie.  Pour certaines personnes, cela demande un peu plus de temps que pour d’autres. »

Peut-être que vous, lecteurs, avez déjà compris le jeu psychologique que je m’imposais à moi-même et j’ose espérer que vous ne riez pas trop fort de ma gymnastique mentale et de mon étrange comportement.  Je savais parfaitement qu’à ma manière, et dans mes propres mots, je venais de prononcer la shahadah, c’est-à-dire la profession de foi islamique qui dit : « J’atteste qu’il n’y a pas d’autre dieu qu’Allah et que Mohammed est Son messager. »  Mais même après avoir dit cela et après avoir reconnu la portée de ce que je venais de dire, je persistai à me raccrocher à l’étiquette religieuse qui m’était familière.  Après tout, je n’avais pas dit que j’étais musulman.  J’étais simplement un chrétien, bien qu’atypique, qui voulais bien reconnaître qu’il n’y a pas d’autre divinité à part Dieu et que la trinité n’existe pas, et que Mohammed avait été l’un des prophètes inspirés par ce Dieu unique.  Si un musulman voulait me considérer comme musulman, c’était son affaire, pas la mienne.  Je me leurrais moi-même en me disant que je venais de découvrir la solution à ma crise identitaire religieuse.  J’étais un chrétien et j’allais dorénavant soigneusement expliquer aux gens que j’étais d’accord avec l’attestation de foi islamique et que je la reconnaissais comme vraie.  Puis, une fois que j’aurais fourni mon explication alambiquée en disséquant la langue anglaise, les autres pourraient me coller toutes les étiquettes qu’ils souhaitent; ce serait leur étiquette, pas la mienne.

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