Regard sur l’Espagne musulmane
Description: Avec l’arrivée des musulmans, en Espagne, cette contrée autrefois aride et illettrée devint la capitale européenne de l’érudition et de l’agriculture, où vivaient en sécurité des personnes de toutes religions confondues, sous la loi islamique.
- par Dean Derhak (édité par IslamReligion.com)
- Publié le 09 Nov 2009
- Dernière mise à jour le 09 Nov 2009
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Lorsque vous pensez à la culture européenne, une des premières choses qui vous vient peut-être à l’esprit est la Renaissance. Plusieurs racines de la culture européenne remontent à cette époque glorieuse de l’art, de la science, du commerce et de l’architecture. Mais saviez-vous que longtemps avant la Renaissance existait un lieu de grande beauté humaniste, en Espagne musulmane? Non seulement l’Espagne musulmane était-elle artistique, scientifique et commerciale, elle était aussi empreinte de tolérance, d’imagination et de poésie. Les musulmans habitèrent l’Espagne durant près de 700 ans. Comme vous le verrez dans cet article, c’est leur civilisation qui édifia l’Europe et qui la fit sortir de l’âge des ténèbres pour la faire entrer dans la Renaissance. Plusieurs de leurs influences culturelles et intellectuelles sont toujours présentes de nos jours.
Au huitième siècle, l’Europe était encore enlisée dans la période médiévale. Ce n’est d’ailleurs pas la seule chose dans laquelle elle était enlisée. Dans son ouvrage intitulé « The Day the Universe Changed » (le jour où l’univers changea), l’historien James Burke décrit la façon dont vivaient les citadins typiques de l’époque :
« Les habitants jetaient toutes leurs ordures dans les fossés situés au milieu des rues étroites. Les rues étaient probablement envahies par la puanteur, même si on n’en fait pas beaucoup mention dans les sources de l’époque. Les roseaux et la paille utilisés pour couvrir les planchers de terre battue étaient mêlés à de l’urine et à des excréments. » (p.32)
Cette société sordide était organisée selon le système féodal et on n’y trouvait rien qui ressemblât à une économie commerciale. Entre autres restrictions, l’Église catholique interdisait les prêts monétaires, ce qui n’aidait guère à atteindre une quelconque prospérité. « L’antisémitisme, jusque-là rare, se mit à augmenter. Les prêts monétaires, interdits par l’Église, étaient permis par la loi juive. » (Burke, 1985, p.32). Les juifs travaillèrent donc à développer leur propre monnaie, bien qu’ils fussent lourdement persécutés pour cette raison. L’Europe médiévale était franchement misérable; c’était une époque où dominaient l’illettrisme, les superstitions de toutes sortes, la barbarie et la saleté.
C’est à cette époque que les musulmans arrivèrent en Europe par le Sud. Abdelrahman I, le survivant d’une famille de califes de l’empire musulman, arriva en Espagne au milieu des années 700. Il devint le premier calife d’Andalousie (la partie musulmane de l’Espagne), qui occupait presque toute la Péninsule ibérique. Il établit la dynastie des Omeyyades, qui régna sur l’Andalousie durant plus de trois cents ans (Grolier, Histoire de l’Espagne). Le terme « Andalousie » signifie « terre des vandales ».
Au début, cette contrée était à l’image du reste de l’Europe dans toute sa saleté repoussante et sa misère noire. Mais en moins de deux siècles, les musulmans firent de l’Andalousie le bastion européen de la culture, du commerce et de l’art.
« Les systèmes d’irrigation importés de Syrie et du monde musulman transformèrent les plaines arides... en riches terres agricoles. Les olives et le blé avaient toujours poussé à cet endroit. Les musulmans y ajoutèrent des grenades, des oranges, des citrons, des aubergines, des artichauts, du cumin, de la coriandre, des bananes, des amandes, du henné, de la guède, de la garance, du safran, de la canne à sucre, du coton, du riz, des figues, des raisins, des pêches et des abricots. » (Burke, 1985, p.37)
Dès le début du neuvième siècle, l’Espagne musulmane était devenue le joyau de l’Europe d’alors, avec sa capitale, Cordoba. Avec le règne d’Abdelrahman III, le « grand califat de Cordoba », vint l’âge d’or de l’Andalousie. Cordoba, au sud de l’Espagne, devint le centre intellectuel de l’Europe.
À une époque où Londres était à peine un village parsemé de huttes en terre qui « ne pouvait se vanter d’aucun réverbère » (Digest, 1973, p.622), à Cordoba...
« ... il y avait un demi-million d’habitants, vivant dans 113 000 maisons. Il y avait 700 mosquées et 300 bains publics répartis à travers la ville et ses vingt-et-une banlieues. Les rues étaient pavées et éclairées. » (Burke, 1985, p.38)
« Les maisons possédaient des balcons en marbre pour l’été et des conduites d’air chaud, sous les planchers, pour l’hiver. Elles étaient entourées de jardins dans lesquels on trouvait des fontaines et des vergers. » (Digest, 1973, p.622) « Le papier, dont l’Occident ignorait encore l’existence, était partout (en Andalousie). Il y avait également des librairies et plus de soixante-dix bibliothèques. » (Burke, 1985, p.38)
Dans son ouvrage intitulé « Spain in the Modern World » (l’Espagne dans le monde moderne), James Cleugh explique l’importance et le statut de Cordoba dans l’Europe médiévale :
« Rien ne s’y comparait, à cette époque, dans le reste de l’Europe. Les meilleurs esprits du continent se tournaient vers l’Espagne pour toutes ces choses qui différencient clairement un être humain d’un tigre. » (Cleugh, 1953, p.70)
À la fin du premier millénaire, Cordoba était devenu le puits intellectuel auquel les habitants de l’Europe venaient s’abreuver. Des étudiants de France et d’Angleterre s’y rendaient et s’asseyaient aux pieds d’érudits musulmans, chrétiens et juifs afin de s’instruire dans les domaines de la philosophie, des sciences et de la médecine (Digest, 1973, p.622). La grande bibliothèque de Cordoba contenait à elle seule plus de 600 000 manuscrits. (Burke, 1978, p,122)
Cette société riche et sophistiquée avait une attitude très tolérante envers les autres religions, une tolérance que l’on ne retrouvait nulle part ailleurs, en Europe. En Espagne musulmane, « des milliers de juifs et de chrétiens vivaient en paix et en harmonie avec leurs dirigeants musulmans. » (Burke, 1985, p.38)
Malheureusement, cette période de prospérité économique et de richesse intellectuelle finit par décliner et l’Andalousie perdit peu à peu de son prestige. Les gens se mirent à se détourner de l’autorité de la loi, et des luttes intestines apparurent au sein du pouvoir musulman. La belle harmonie fut détruite et divisée en factions ennemies. Enfin, les califes furent éliminés et Cordoba tomba aux mains d’autres puissances musulmanes. « En 1013, la grande bibliothèque de Cordoba fut détruite. Fidèles à leurs traditions islamiques, cependant, les nouveaux dirigeants donnèrent leur accord pour que les livres soient envoyés dans les diverses capitales des petits émirats où s’étaient réfugiés les érudits de Cordoba. » (Burke, 1985, p.40) Les propriétés intellectuelles de ce qui avait été la grande Andalousie furent donc divisées parmi plusieurs petites villes.
Pendant ce temps, au nord de l’Espagne, les divers états chrétiens s’unissaient pour expulser les musulmans du continent européen (Grolier, Histoire de l’Espagne). Cela prépara le terrain pour le dernier acte de l’époque médiévale.
Dans un autre ouvrage de James Burke intitulé « Connections » (Connexions), il explique comment les musulmans firent sortir l’Europe de l’âge des ténèbres. « L’événement qui a probablement le plus contribué au renouveau intellectuel et scientifique, en Europe, est la chute de Toledo, en Espagne, aux mains des chrétiens, en 1105. » À Toledo, les musulmans possédaient d’immenses bibliothèques contenant les travaux des Grecs et des Romains, de même que les travaux philosophiques et mathématiques des musulmans. « Les bibliothèques espagnoles furent ouvertes, révélant un grand nombre d’ouvrages classiques et d’ouvrages musulmans, qui stupéfia les Européens chrétiens. » (Burke, 1978, p.123)
Le butin intellectuel raflé par les chrétiens, à Toledo, attira dans cette ville des érudits du nord de l’Europe, comme des papillons de nuit vers une bougie. Les chrétiens mirent sur pied un important programme de traduction, à Toledo. Se servant des juifs comme interprètes, ils traduisirent les ouvrages musulmans en latin. Parmi ces ouvrages, on retrouvait « la plupart des grands ouvrages grecs de science et de philosophie... de même que plusieurs travaux originaux d’érudits musulmans. » (Digest, p.622)
« La communauté intellectuelle que les érudits du nord (de l’Europe) trouvèrent en Espagne était si supérieure à celles de leurs pays d’origine qu’elle provoqua chez eux une jalousie persistante envers la culture musulmane, qui allait influencer l’opinion occidentale des siècles durant. » (Burke, 1985, p.41)
« Les sujets traités dans les textes incluaient la médecine, l’astrologie, l’astronomie, la pharmacologie, la psychologie, la physiologie, la zoologie, la biologie, la botanique, la minéralogie, l’optique, la chimie, la physique, les mathématiques, l’algèbre, la géométrie, la trigonométrie, la musique, la météorologie, la géographie, la mécanique, l’hydrostatique, la navigation et l’histoire. » (Burke, 1985, p.42)
Ces travaux seuls ne suffirent toutefois pas à attiser le feu qui allait mener l’Europe à la Renaissance. Ils enrichirent le savoir de l’Europe, mais les Européens ne surent pas l’apprécier et ne modifièrent en rien leur façon de voir le monde.
Il faut se rappeler que l’Europe médiévale était très superstitieuse et, par conséquent, assez irrationnelle. « Ce qui fit exploser la bombe intellectuelle, cependant, fut la philosophie qui vint avec (les livres). » (Burke, 1985, p.42)
Les chrétiens continuèrent de reconquérir l’Espagne, laissant mort et destruction sur leur passage. Les livres furent épargnés, mais la culture maure fut rayée du pays et leur civilisation anéantie. Ironiquement, ce ne fut pas seulement la puissance des chrétiens qui provoqua la défaite des musulmans, mais les conflits internes dans les rangs des musulmans eux-mêmes. Comme ça avait été le cas avec la Grèce et avec Rome avant eux, les musulmans d’Andalousie sombrèrent dans la décadence morale[1] et s’éloignèrent du mode de vie intellectuel qui avait fait leur renommée.
Les chrétiens continuèrent de traduire les ouvrages, tandis que chaque refuge de musulmans tombait entre leurs mains. En 1492, la même année où Christophe Colomb découvrait le Nouveau Monde, Grenade, la dernière enclave musulmane, fut prise. Ceux qui s’étaient emparés des livres contenant le savoir ne surent pas en tirer sagesse. Tous les juifs et musulmans ayant refusé d’abandonner leurs croyances furent soit tués, soit exilés (Grolier, Histoire de l’Espagne). C’est ainsi que prit fin une époque de tolérance, et les seules traces laissées par le passage des musulmans furent leurs livres.
Il est fascinant de constater à quel point l’Europe a appris des ouvrages musulmans, et encore plus de constater à quel point le savoir contenu dans ces ouvrages a perduré. Grâce à ce flot de connaissances, les premières universités firent leur apparition (Burke, 1985, p.48). Des musulmans, nous tenons les chiffres que nous utilisons de nos jours encore. Même le concept du zéro (un mot arabe) provient d’eux (Castillo & Bond, 1987, p.27). Il est également à noter que les concepts architecturaux de la Renaissance furent inspirés des bibliothèques musulmanes. Les mathématiques et l’architecture telles qu’expliquées dans les ouvrages musulmans, de même que les ouvrages sur l’optique, ont mené aux techniques de représentation en perspective que l’on retrouve dans les peintures de la Renaissance (Burke, 1985, p.72). Les premiers avocats commencèrent à travailler en utilisant comme guides les ouvrages musulmans nouvellement traduits. Même les ustensiles avec lesquels nous mangeons, de nos jours, proviennent des cuisines de Cordoba (Burke, 1985, p.44). Tous ces exemples démontrent, même sommairement, à quel point l’Europe s’est trouvée profondément transformée par le passage des musulmans.